D’une morte @ l’autre (Version numérique)

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D’une morte @ l’autre est le récit vivant d’une relation entre deux femmes après une rencontre dans un hôpital psychiatrique. L’une est japonaise, l’autre française; l’une aime les hommes, l’autre les femmes mais elles ont tout à partager: leur douleur commune, une vie familiale compliquée et un goût prononcé pour la culture de l’autre. Cette amitié improbable, généreuse et explosive prend la forme d’un long échange de courriels. Ce roman pudique et brûlant révèle l’équilibre fragile entre la vie et la mort, la raison et la déraison.

Claire Sagnières et cofondatrice du premier journal lesbien à Genève, et a vécu au Japon.

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Extrait 1

« ‘Man, je te dirais, m’man… m’man, je retournerai pas à l’école parce qu’à l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas. Après ce serait dit. Ca serait fait. Voilà »
La pluie d’été. Marguerite Duras.

Chapitre 1

3 Juin 1992
« Attention ! Ca va exploser ! », cria la plus âgée des réceptionnistes à la plus jeune qui revenait tenant mon thermos fermé. Elle le lui arracha des mains, et en ouvrit précipitamment le bouchon. « Il ne faut pas fermer complètement les thermos car, avec l’azote liquide, ils peuvent exploser », précisa-t-elle.
Lorsque j’étais venue remplir mon dossier, la première fois, elle avait insisté : « Et surtout n’oubliez pas votre thermos ! » Et lorsque j’étais arrivée, elle avait crié à la cantonade, devant deux couples qui étaient assis avec moi dans la salle d’attente : « Vous n’avez pas oublié votre thermos ? »
Non. Je ne l’avais pas oublié. J’étais même allée tout exprès en acheter un. Un joli rouge, pas trop grand.
Le mur de la salle d’attente derrière moi, était tapissé de faire-part de naissance, pas anonymes du tout, puisque l’on pouvait y lire le nom et l’adresse des enfants. Lorsque j’étais venue remplir le dossier, la dernière fois, il avait fallu que je donne le signalement de mon « mari ». J’avais alors déclaré qu’il était de taille moyenne, aux cheveux et aux yeux châtains. Plus neutre, c’était impossible.
Cela me faisait penser à une action illégale que j’avais commise dans le passé. J’avais emporté une paire de skis loués, parce que le vendeur ne m’avait pas demandé mes coordonnées. Mais je ne savais pas qu’il avait relevé le numéro d’immatriculation de ma voiture, et quelques mois plus tard j’avais bien été surprise de me retrouver en face d’un commissaire de police, qui me demandait le signalement du jeune homme qui était avec moi lors de ce vol. Comme je ne voulais pas vendre ce copain encore mineur, j’avais dit au policier que je l’avais pris en stop, que je ne le connaissais pas et qu’il était « de taille moyenne, avec des cheveux et des yeux châtains ».Finalement, je m’en étais sortie avec une leçon de morale et l’obligation d’aller piteusement rendre les skis au magasin de skis.
Je pris avec précaution le thermos qui fumait et sortis en le tenant dans les mains. Dans la voiture, je le posai tout délicatement sur le siège passager. Il fumait toujours. Une petite fumée blanche. Il y avait des embouteillages dans cette ville. Je mis la radio. Sur France Musique, on donnait le Quatuor pour la fin des temps de Messiaen, puis la musique for Toys Piano de John Cage. Cela me semblait aller avec l’ambiance.
Je remis le thermos fumant à l’assistante du gynécologue.
J’étais couchée « en position gynécologique », regardant au plafond un mobile immobile avec deux personnages en fil de fer mimant un coït. Le gynécologue sortit les paillettes. C’était de minces tubes d’environ dix centimètres de longueur. Rien à voir avec l’idée de strass qui émanait du mot « paillettes » ! Il les mit, une à une dans sa bouche et souffla doucement, pour faire sortir le sperme qu’il déposa dans une cupule de plastique et qu’il introduisit au fond de mon vagin. »

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Extrait 1

Tu sais c’est parce que j’avais une amie japonaise que j’ai vécu tout cela, car j’étais presque devenue un membre de sa famille et quand nous allions dormir chez sa sœur, celle-ci rapprochait nos deux futons, comme on fait pour un couple invité.
J’ai écrit à cette époque, lors d’une période où cette amie me faisait « chevrer », dans un carnet relié, et au crayon à papier, un texte sur les bains publiques japonais (les sento) que j’ai intitulé : « Estampe solitaire » :
La pluie sur les buissons de thé le long du petit chemin qui mène au sento. Froid, froid partout. A l’intérieur surtout. Je mâche une feuille de thé vert. L’amertume plait au cœur dit-on. Et les gouttes glacées du buisson dégoulinent sur ma main. Une branche de cerisier en fleur sur le noir du ciel. Ne prétendre à rien.
Avril 1985. Showa 60. Tokyo Shinkoiwa (le nouveau quartier de la petite pierre)
Un sento de banlieue. Je laisse mes chaussures à l’entrée. La porte de verre s’ouvre toute seule. Hymen électronique. Accès vers l’humidité chaude.
Un grand hall : de la vapeur seulement, de l’eau chaude, et des femmes partout. Sur le mur, en polychrome de plâtre, un mont Fuji. Et à ses pieds un lac immense d’un bleu profond. Bleu éternel d’Hokkusai.
Des femmes. Des femmes partout. Japonaises.
Je n’ose rien regarder. Seulement mon petit casier, mes affaires entassées. Et mon grand corps occidental gêné.
La petite cuvette de plastique. Le tabouret. Le savon. Comme les autres, je m’asperge consciencieusement. Je m’astique. Je gratte et polis. Me rince d’abord. Puis vais me plonger dans le bassin d’eau brûlante, plein de bulles qui piquent la peau. Et les os même de mon corps sont lavés du froid de la pluie.
Merci.
Je ne regarde rien. Mais je sais tout. Par cœur. Je sais les courbes. Celles des paupières, bien sûr. Mais aussi celles de l’ovale de la joue, des nuques penchées, de l’arrondie du bras. Celles de l’ébauche des seins. Fillettes impubères et vieilles parcheminées. Ce trop de courbes, est-ce de l’inachevé ? Est-ce du trop poli ? Le noir parfait des chevelures qui boit le regard comme la lumière, m’entraîne vers les millénaires d’une autre civilisation. L’évolution parachevée ?
Je croyais que je savais tout. Mais j’avais oublié la soie du toucher et l’odeur de bambou.
Chacune de ces femmes ressemblait à mon amour.
Amitiés,
Anne