Extrait 3

Un chignon Laique et républicain

Il y avait une sorte de secret autour de sa vie. Grande, élancée, avec son beau chignon, elle ne courait pas les hommes, ses amis français. Elle résistait à un remariage malgré une cour assidue. Jusqu’à sa mort, elle disait qu’elle en avait eu assez des hommes avec le sien. Un soir qu’elle était seule chez elle, elle reçut la visite d’un copain, qui n’y alla pas par quatre chemins. «Marie, tu es laïque et républicaine, ne serais-tu pas d’accord de nous aider ? »

Elle comprit tout de suite qu’il s’agissait de Résistance. Il lui dit qu’elle ne connaîtrait que son nom à lui et ne devrait en parler à personne. Il s’agissait de transporter l’argent du maquis d’Embrun depuis Gap, autre ville du département, située à 40 kilomètres. Comme il n’y avait pas d’essence pour les Français, elle devrait se faire transporter en stop par les camions allemands. Mais comment bien cacher l’argent ? Ils réfléchirent peu de temps :
l’immense chignon de ma grand-mère pouvait très bien cacher quelques liasses de billets, sous la charlotte. Elle devait faire le trajet tous les mois et lui passerait un soir prendre l’argent. A 50 ans, elle était une belle femme, souvent draguée par les soldats allemands, ce qui facilita les choses. Sur les camions, elle plaisantait avec eux et chantait des chansons à la mode du fou chantant, Charles Trenet, chansons entraînantes à double discours, mal compris par eux. Elle riait de leurs blagues pas très fines, sans leur montrer ce qu’elle pensait vraiment d’eux, ni surtout de quelle façon elle les utilisait.

Etrait 1

De l’inconscient créateur à la gynogénèse

Le contenu de leur journal : « La Cause du Peuple » était essentiellement des comptes rendus sur des luttes ouvrières, qu’on ne pouvait pas lire dans les journaux habituels. La plupart des maos étaient des enfants de bourgeois rejetés par leur famille, et « établis » en usines (ayant arrêté leurs études pour apprendre auprès des ouvriers, comme cela se faisait en Chine lors de la Révolution Culturelle) ; ils restaient en usines pour se désembourgeoiser au contact des ouvriers et aussi pour les pousser aux luttes ouvrières, grèves, occupations d’usines, sabotages, séquestrations de patrons, etc. Les autres étaient de vrais ouvriers d’extrême-gauche. Le but de cette stratégie était de former un fort mouvement d’ouvriers et d’étudiants liés, pour renverser le gouvernement et réussir enfin la révolution avortée en mai 68.

Elles, n’étant pas « établies » comme ils disaient, étaient considérées comme des sympathisantes, faisant les basses besognes, comme d’aller à 4h du matin à l’entrée des usines distribuer des tracts, où elles se faisaient fréquemment tabasser par les gros bras de la CGT.

Il y eut une grande discussion avec Son Amour, après deux semaines de travail comme fille de salle à l’Hôpital de la Croix Rousse, car elle avait bien envie de « s’établir » aussi et d’arrêter ses études de médecine. Elle se sentait plus proche des autres femmes de service que des infirmières qui les commandaient comme des cheffes. Une fois, au bloc, alors qu’elle faisait le ménage, l’une d’elles l’avait appelée pour lui demander de nettoyer les chiottes avant qu’elle ne les utilise, car le chirurgien ne tirait jamais la chasse d’eau. Son Amour, qui avait été une vraie prolétaire, pensait que cela n’était pas bien de refuser de faire des études si on en avait la possibilité. Dans le Petit Livre Rouge, Mao parlait pour ce genre de conflits, de « contradictions au sein du peuple ». De même que la révolution culturelle en Chine avait envoyé les intellectuels travailler aux champs pour les réformer et leur enlever leur instinct de supériorité, elle essayait de se réformer, sincèrement. Elles pensaient que les ouvriers étaient plus intelligents, plus gentils, et plus honnêtes que les bourgeois. Et qu’ils avaient le sens de la résolution des problèmes de classe. Elles ne portaient que des habits de secondes mains, et n’allaient que rarement au restaurant, et plutôt dans les restos ouvriers pas chers.(…)

(Elles devenaient amies avec un groupe de voisins dont l’une des sœurs était féministe mais hétéro. C’est avec eux qu’elles fabriquèrent le panneau pour annoncer la sortie du journal « Libération », qui était censé remplacer « La Cause du Peuple », devenue de fait interdite, et détruite à la sortie de l’imprimerie… Tandis quelles vendaient le nouveau journal, des policiers étaient venus embarquer plusieurs d’entre eux et comme elles voulaient les faire sortir elles avaient secoué le léger camion, et Sylvie comprit mieux son surnom de panier à salade !)