Extrait 1

D’une morte @ l’autre

Tu sais c’est parce que j’avais une amie japonaise que j’ai vécu tout cela, car j’étais presque devenue un membre de sa famille et quand nous allions dormir chez sa sœur, celle-ci rapprochait nos deux futons, comme on fait pour un couple invité.
J’ai écrit à cette époque, lors d’une période où cette amie me faisait « chevrer », dans un carnet relié, et au crayon à papier, un texte sur les bains publiques japonais (les sento) que j’ai intitulé : « Estampe solitaire » :
La pluie sur les buissons de thé le long du petit chemin qui mène au sento. Froid, froid partout. A l’intérieur surtout. Je mâche une feuille de thé vert. L’amertume plait au cœur dit-on. Et les gouttes glacées du buisson dégoulinent sur ma main. Une branche de cerisier en fleur sur le noir du ciel. Ne prétendre à rien.
Avril 1985. Showa 60. Tokyo Shinkoiwa (le nouveau quartier de la petite pierre)
Un sento de banlieue. Je laisse mes chaussures à l’entrée. La porte de verre s’ouvre toute seule. Hymen électronique. Accès vers l’humidité chaude.
Un grand hall : de la vapeur seulement, de l’eau chaude, et des femmes partout. Sur le mur, en polychrome de plâtre, un mont Fuji. Et à ses pieds un lac immense d’un bleu profond. Bleu éternel d’Hokkusai.
Des femmes. Des femmes partout. Japonaises.
Je n’ose rien regarder. Seulement mon petit casier, mes affaires entassées. Et mon grand corps occidental gêné.
La petite cuvette de plastique. Le tabouret. Le savon. Comme les autres, je m’asperge consciencieusement. Je m’astique. Je gratte et polis. Me rince d’abord. Puis vais me plonger dans le bassin d’eau brûlante, plein de bulles qui piquent la peau. Et les os même de mon corps sont lavés du froid de la pluie.
Merci.
Je ne regarde rien. Mais je sais tout. Par cœur. Je sais les courbes. Celles des paupières, bien sûr. Mais aussi celles de l’ovale de la joue, des nuques penchées, de l’arrondie du bras. Celles de l’ébauche des seins. Fillettes impubères et vieilles parcheminées. Ce trop de courbes, est-ce de l’inachevé ? Est-ce du trop poli ? Le noir parfait des chevelures qui boit le regard comme la lumière, m’entraîne vers les millénaires d’une autre civilisation. L’évolution parachevée ?
Je croyais que je savais tout. Mais j’avais oublié la soie du toucher et l’odeur de bambou.
Chacune de ces femmes ressemblait à mon amour.
Amitiés,
Anne

Extrait 1

D’une morte @ l’autre

Tu sais c’est parce que j’avais une amie japonaise que j’ai vécu tout cela, car j’étais presque devenue un membre de sa famille et quand nous allions dormir chez sa sœur, celle-ci rapprochait nos deux futons, comme on fait pour un couple invité.
J’ai écrit à cette époque, lors d’une période où cette amie me faisait « chevrer », dans un carnet relié, et au crayon à papier, un texte sur les bains publiques japonais (les sento) que j’ai intitulé : « Estampe solitaire » :
La pluie sur les buissons de thé le long du petit chemin qui mène au sento. Froid, froid partout. A l’intérieur surtout. Je mâche une feuille de thé vert. L’amertume plait au cœur dit-on. Et les gouttes glacées du buisson dégoulinent sur ma main. Une branche de cerisier en fleur sur le noir du ciel. Ne prétendre à rien.
Avril 1985. Showa 60. Tokyo Shinkoiwa (le nouveau quartier de la petite pierre)
Un sento de banlieue. Je laisse mes chaussures à l’entrée. La porte de verre s’ouvre toute seule. Hymen électronique. Accès vers l’humidité chaude.
Un grand hall : de la vapeur seulement, de l’eau chaude, et des femmes partout. Sur le mur, en polychrome de plâtre, un mont Fuji. Et à ses pieds un lac immense d’un bleu profond. Bleu éternel d’Hokkusai.
Des femmes. Des femmes partout. Japonaises.
Je n’ose rien regarder. Seulement mon petit casier, mes affaires entassées. Et mon grand corps occidental gêné.
La petite cuvette de plastique. Le tabouret. Le savon. Comme les autres, je m’asperge consciencieusement. Je m’astique. Je gratte et polis. Me rince d’abord. Puis vais me plonger dans le bassin d’eau brûlante, plein de bulles qui piquent la peau. Et les os même de mon corps sont lavés du froid de la pluie.
Merci.
Je ne regarde rien. Mais je sais tout. Par cœur. Je sais les courbes. Celles des paupières, bien sûr. Mais aussi celles de l’ovale de la joue, des nuques penchées, de l’arrondie du bras. Celles de l’ébauche des seins. Fillettes impubères et vieilles parcheminées. Ce trop de courbes, est-ce de l’inachevé ? Est-ce du trop poli ? Le noir parfait des chevelures qui boit le regard comme la lumière, m’entraîne vers les millénaires d’une autre civilisation. L’évolution parachevée ?
Je croyais que je savais tout. Mais j’avais oublié la soie du toucher et l’odeur de bambou.
Chacune de ces femmes ressemblait à mon amour.
Amitiés,
Anne