Extrait 1

Un gai mariage lesbien

Isabelle téléphona en Suisse, depuis une cabine téléphonique près de la place Bellecour à Lyon. Elles convinrent de la venue d’Isabelle en Suisse et l’autre, qui se prénommait Thérèse, raccrocha avec un : « C’est bonheur », néologisme qu’Isabelle trouva charmant et sûrement suisse. (En fait, elle en avait employé un autre, moins charmant, mais vraiment suisse, lui : « C’est bonnard. »)

Isabelle avait eu, malgré ses 24 ans qui auraient dû être tout propres, une vie déjà mouvementée. D’abord elle s’était faite jeter hors de la maison par ses parents à 19 ans, 5 ans plus tôt, parce qu’elle faisait du militantisme gauchiste après 1968, et que ses parents étaient d’extrême droite : un père militaire de carrière et membre du SAC, une mère prof de lycée non gréviste. Isabelle s’était réfugiée chez son amie (la première et la seule lesbienne qu’elle avait connue en ces temps lointains où l’on ne parlait de rien, où l’avortement était interdit et où la pilule n’existait pas). Elle avait travaillé comme infirmière, tout l’hiver les week-ends, et durant toutes les vacances, car ses parents lui avaient coupé les vivres.
En cette année 1976, elle avait enfin rencontré un groupe de lesbiennes, qui avaient placardé un petit papier collé sur un poteau électrique, lequel appelait à la formation d’un groupe de lesbiennes à Lyon. Et puis, elle avait commencé à prendre la pilule et à coucher, de droite et de gauche, selon son bon plaisir. Avec les lesbiennes, elles avaient fait un groupe de conscience, elles étaient parties toutes entassées dans une vieille 2 CV, jusqu’à un champ rempli de foin et s’étaient racontées, l’une après l’autre, leur vie. Elle avait commencé cette nuit-là une histoire avec une des filles, qui revenait d’une commune de lesbiennes allemande et qui était contre la fidélité dans le couple. Après cette merveilleuse nuit dans les foins, elle était descendue en stop à Marseille, pour y passer le concours d’Internat local. Le soir, elle s’était retrouvée dans une petite chambre d’hôtel, le dos rempli de tiques, qu’elle s’était enlevée en se contorsionnant devant la glace. Souvenirs de sa première nuit d’infidélité. Les hommes cela ne comptait pas vraiment. Ce n’était pas des infidélités. C’était des aventures, avec aucun sentiment. Seulement pour être sûre d’être normale. Elle ne les revoyait jamais. La pilule, elle se l’était prescrite elle-même sur une ordonnance de l’hôpital où elle était externe. Les hommes, elle les draguait partout, en stop ou parmi ses patients à l’hôpital. Elle en usait comme des objets. Comme eux savent user des femmes. Elle n’avait aucun sentiment de mal faire, ni de leur faire du mal. C’était un jeu. C’est tout. Un jeu qu’elle ne détestait pas, qu’elle aimait bien, même. Mais jamais elle n’était tombée amoureuse d’un homme.

Extrait 1

Un gai mariage lesbien

Isabelle téléphona en Suisse, depuis une cabine téléphonique près de la place Bellecour à Lyon. Elles convinrent de la venue d’Isabelle en Suisse et l’autre, qui se prénommait Thérèse, raccrocha avec un : « C’est bonheur », néologisme qu’Isabelle trouva charmant et sûrement suisse. (En fait, elle en avait employé un autre, moins charmant, mais vraiment suisse, lui : « C’est bonnard. »)

Isabelle avait eu, malgré ses 24 ans qui auraient dû être tout propres, une vie déjà mouvementée. D’abord elle s’était faite jeter hors de la maison par ses parents à 19 ans, 5 ans plus tôt, parce qu’elle faisait du militantisme gauchiste après 1968, et que ses parents étaient d’extrême droite : un père militaire de carrière et membre du SAC, une mère prof de lycée non gréviste. Isabelle s’était réfugiée chez son amie (la première et la seule lesbienne qu’elle avait connue en ces temps lointains où l’on ne parlait de rien, où l’avortement était interdit et où la pilule n’existait pas). Elle avait travaillé comme infirmière, tout l’hiver les week-ends, et durant toutes les vacances, car ses parents lui avaient coupé les vivres.
En cette année 1976, elle avait enfin rencontré un groupe de lesbiennes, qui avaient placardé un petit papier collé sur un poteau électrique, lequel appelait à la formation d’un groupe de lesbiennes à Lyon. Et puis, elle avait commencé à prendre la pilule et à coucher, de droite et de gauche, selon son bon plaisir. Avec les lesbiennes, elles avaient fait un groupe de conscience, elles étaient parties toutes entassées dans une vieille 2 CV, jusqu’à un champ rempli de foin et s’étaient racontées, l’une après l’autre, leur vie. Elle avait commencé cette nuit-là une histoire avec une des filles, qui revenait d’une commune de lesbiennes allemande et qui était contre la fidélité dans le couple. Après cette merveilleuse nuit dans les foins, elle était descendue en stop à Marseille, pour y passer le concours d’Internat local. Le soir, elle s’était retrouvée dans une petite chambre d’hôtel, le dos rempli de tiques, qu’elle s’était enlevée en se contorsionnant devant la glace. Souvenirs de sa première nuit d’infidélité. Les hommes cela ne comptait pas vraiment. Ce n’était pas des infidélités. C’était des aventures, avec aucun sentiment. Seulement pour être sûre d’être normale. Elle ne les revoyait jamais. La pilule, elle se l’était prescrite elle-même sur une ordonnance de l’hôpital où elle était externe. Les hommes, elle les draguait partout, en stop ou parmi ses patients à l’hôpital. Elle en usait comme des objets. Comme eux savent user des femmes. Elle n’avait aucun sentiment de mal faire, ni de leur faire du mal. C’était un jeu. C’est tout. Un jeu qu’elle ne détestait pas, qu’elle aimait bien, même. Mais jamais elle n’était tombée amoureuse d’un homme.